La différence sémantique entre « immigrant » et « expatrié » dépasse l’usage simple des mots. Elle révèle une profonde inégalité enracinée dans les dynamiques de pouvoir entre l’Occident et l’Afrique, alimentant des stéréotypes et perpétuant des récits coloniaux qui affectent la perception culturelle et l’estime de soi des Africains.
Dans le contexte actuel, cette terminologie reflète plus qu’un simple mouvement géographique — elle définit qui contrôle le récit et qui en est marginalisé.
Lorsqu’un Africain quitte son continent pour l’Europe, il est étiqueté comme un « immigrant ». Ce terme, souvent accompagné d’images de précarité, de difficultés économiques et de fuite des conflits, construit un récit de dépendance et de désespoir. En revanche, le citoyen européen qui choisit de vivre en Afrique est qualifié d’« expatrié », un mot qui évoque le statut, le choix et le privilège.
Ce contraste linguistique n’est pas simplement une question de mots ; c’est une arme puissante utilisée pour perpétuer la supériorité occidentale sur le continent africain. Le terme implique que l’Africain fuit des conditions défavorables, tandis que l’Européen ne fait que chercher de nouvelles expériences et opportunités dans un continent perçu comme « exotique ».
Dans le journalisme, le langage est l’un des piliers les plus influents dans la formation de l’opinion publique. Les reportages sur la migration africaine en Europe sont majoritairement présentés sous un jour négatif — les crises humanitaires, la criminalité et les politiques de déportation sont souvent les principaux sujets abordés.
En revanche, les récits sur les expatriés européens en Afrique sont souvent racontés comme des histoires d’aventure, de progrès et de contributions professionnelles, en omettant ou minimisant les privilèges dont ces individus bénéficient en s’installant sur un continent historiquement exploité. La manière dont les médias construisent ces récits reflète le déséquilibre de pouvoir entre l’Occident et l’Afrique, maintenant les Africains dans une position d’infériorité culturelle et économique.
Cette couverture déséquilibrée de la migration, tant africaine qu’européenne, perpétue la vision selon laquelle les Africains sont intrinsèquement dépendants, tandis que les Européens sont les « sauveurs » qui apportent le développement.
Ce type de récit n’est pas seulement une continuation du colonialisme culturel, mais aussi un reflet direct de la façon dont les sociétés européennes perçoivent encore l’Afrique : comme un continent ayant besoin d’aide extérieure pour prospérer. Cette perception n’est pas seulement injuste, elle néglige également les nombreuses contributions des Africains, tant dans leur propre continent qu’au niveau mondial.
La manière dont les médias occidentaux façonnent ce récit est essentielle pour comprendre la manipulation idéologique. La couverture inégale des flux migratoires maintient la perception que les Africains sont toujours ceux qui « fuient » ou « abandonnent » leurs terres à la recherche de survie, tandis que les Européens sont ceux qui, par choix, cherchent à enrichir leur expérience professionnelle et personnelle en Afrique.
La réalité, cependant, est plus complexe. De nombreuses migrations africaines sont le résultat direct des inégalités mondiales et des politiques coloniales qui continuent de générer de l’instabilité économique et politique sur le continent.
L’éducation est un autre domaine où cette manipulation se perpétue. Dans les programmes scolaires, tant en Occident que dans de nombreux pays africains, l’histoire européenne est largement privilégiée, tandis que l’histoire africaine est reléguée à quelques lignes.
Ce déséquilibre alimente une mentalité coloniale, dans laquelle de nombreux Africains considèrent l’Occident comme le centre du progrès et de la modernité, et l’Afrique comme un lieu de limitations. Cette mentalité génère un sentiment d’infériorité et contribue à l’exode des talents africains vers l’étranger.
Cette manipulation idéologique, reflétée dans la différence de traitement entre « immigrant » et « expatrié », a des impacts directs sur la culture africaine. Dans les grandes villes du continent, on observe une occidentalisation croissante des habitudes et des modes de vie.
Les jeunes Africains, par exemple, sont de plus en plus influencés par les modèles de consommation et de comportement occidentaux, souvent au détriment des traditions et des valeurs locales. La musique, la mode et même les aspirations éducatives et professionnelles sont façonnées par des références externes, créant une déconnexion entre la jeunesse et leur propre héritage culturel.
Ce processus d’aliénation culturelle se reflète également dans la langue. L’utilisation des langues coloniales telles que l’anglais, le français ou le portugais comme principaux vecteurs d’éducation et de commerce dans les pays africains renforce l’idée que le progrès ne peut être réalisé qu’à travers des modèles occidentaux.
Cela affaiblit non seulement les langues et traditions locales, mais crée également une barrière psychologique, où les Africains ressentent le besoin de quitter leur pays pour réussir. En renforçant ces récits coloniaux, l’Occident maintient une présence invisible mais bien réelle dans le développement et la culture africains.
Malgré ce cadre, des signes d’une résistance culturelle croissante se manifestent dans diverses régions d’Afrique. Les mouvements qui exaltent la fierté africaine et la valorisation des traditions locales gagnent du terrain, notamment parmi les jeunes. L’afrocentrisme, par exemple, a été une réponse directe au processus d’aliénation culturelle, encourageant les Africains à célébrer leurs racines et à contribuer au développement du continent à partir de leurs propres perspectives.
La musique afrobeat, qui a conquis les scènes internationales, et la résurgence de la mode traditionnelle sont des exemples de la manière dont la culture africaine a résisté et, dans de nombreux cas, s’est réinventée.
Dans la pratique, cette résistance est également une réaction aux barrières imposées par l’Occident. Alors que les Africains font face à des restrictions de plus en plus sévères dans leurs tentatives de migrer vers l’Europe ou l’Amérique du Nord, les Européens continuent de jouir de privilèges sur le continent africain. Cela crée un cycle d’exclusion qui renforce les inégalités historiques et sous-estime les contributions des Africains sur la scène mondiale.
Pour briser cette manipulation, il est crucial que les Africains prennent le contrôle de leur propre récit. Cela commence par la revalorisation de la culture, des traditions et de l’histoire africaines. Le système éducatif doit être réformé pour inclure, de manière plus visible, les réalisations africaines, non seulement sur le continent, mais dans le monde entier.
Les médias africains doivent également jouer un rôle actif en défiant les stéréotypes imposés par l’Occident et en promouvant une vision plus équilibrée et réaliste du continent. Le défi consiste à inverser des siècles de subjugation idéologique et à affirmer le récit africain de manière souveraine et autonome.
De plus, les Africains doivent rejeter l’idée que le succès est nécessairement lié à la migration vers l’Occident. En investissant dans leurs propres économies et en renforçant l’innovation locale, le continent peut inverser l’exode des talents et consolider son rôle sur la scène mondiale. Ce changement de mentalité est essentiel pour que l’Afrique ne soit plus perçue comme une terre à fuir, mais pour s’affirmer comme un continent d’opportunités et de développement.
La différence entre « immigrant » et « expatrié » est plus qu’une question de mots ; elle révèle l’influence continue de l’Occident sur le récit global et sa capacité à façonner les perceptions de l’Afrique. Pour que le continent africain se libère de cette manipulation idéologique, ses cultures, ses langues et ses histoires doivent être célébrées, et les Africains doivent assumer leur place centrale dans le monde.
Ce n’est qu’alors qu’il sera possible de renverser des siècles d’inégalité et de construire un nouveau récit, où l’Afrique ne sera pas seulement un lieu à exploiter, mais une puissance culturelle et économique autonome.