Comment une classe intellectuelle trop occidentalisée s’est éloignée des réalités africaines
Par la Rédaction d’AfricaHeadline | Juillet 2025
LUANDA — À travers le continent, l’image de l’intellectuel africain est de plus en plus façonnée par des codes esthétiques européens, un prestige académique occidental et un langage inaccessible.
Équipe de reportages d’AfricaHeadline
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La cravate, plus qu’un simple accessoire de rigueur, est devenue l’uniforme d’une élite qui ne parle plus le langage du peuple, ni au sens propre, ni au sens politique.
« Le problème de l’Afrique, c’est l’échec du leadership. Mais peut-être aussi l’échec d’une certaine élite intellectuelle à diriger avec sincérité. » — Chinua Achebe
Ces dernières décennies, l’Afrique a vu émerger une génération d’intellectuels hautement diplômés, formés dans les meilleures universités britanniques, françaises ou américaines.
Pourtant, beaucoup reviennent sur le continent avec un regard étranger, un regard conditionné pour analyser, mais pas pour écouter. Ils s’expriment brillamment sur la “résilience”, les “agendas globaux” ou les “modèles de développement”, mais évitent les rues poussiéreuses de leurs origines.
Dans les forums internationaux, cette élite présente l’Afrique en graphiques et en powerpoints, mais peine à la représenter fidèlement. Le peuple, celui qui vit de l’agriculture de subsistance, du commerce informel, de la foi et de l’ingéniosité quotidienne, est souvent absent de leurs propositions.
Dans ce contexte, la cravate symbolise non plus la compétence, mais la rupture : une déconnexion croissante entre ceux qui pensent l’Afrique et ceux qui la vivent.
L’écrivain kényan Ngũgĩ wa Thiong’o est l’une des voix les plus critiques de cette tendance. En refusant d’écrire en anglais pour privilégier sa langue maternelle, le kikuyu, il défie la domination linguistique des élites. « La décolonisation commence par la langue », affirme-t-il.
De son côté, le Congolais Sony Labou Tansi déclarait : « La honte d’être africain a commencé le jour où l’Africain a voulu être Européen. » Aujourd’hui, cette honte porte la cravate, parle un anglais technique fluide et cite Foucault sans jamais mentionner Amílcar Cabral, Eduardo Mondlane, Mia Couto ou Luandino Vieira.
Dans de nombreux pays africains, les communautés continuent de fonctionner sur la base de valeurs traditionnelles. En zone rurale angolaise, on consulte encore les anciens lors de crises. En Guinée-Bissau, des rituels locaux permettent de résoudre des conflits là où l’État échoue.
Au Rwanda, le système communautaire du gacaca a favorisé la réconciliation post-génocide. Pourtant, ces mécanismes locaux sont rarement étudiés dans les universités africaines ou intégrés aux politiques publiques par les “experts” en costume-cravate.
Dans les centres urbains, des solutions locales à des problèmes locaux émergent chaque jour. Dans les quartiers populaires de Kinshasa, Nairobi ou Johannesburg, des jeunes créent des applications mobiles pour surveiller la santé, vendre des produits agricoles ou offrir des cours.
Des femmes montent des coopératives et gèrent des caisses de solidarité communautaires. Ces formes d’intelligence collective ne figurent pas dans les rapports de la Banque mondiale, mais elles témoignent de la résilience africaine réelle — souvent ignorée par les intellectuels éloignés.
La réalité est sans appel : nombreux sont ceux qui se proclament “intellectuels africains” mais ont oublié l’Afrique. Ils cherchent la validation à Paris ou à New York, mais ne savent pas formuler deux phrases en kikongo ou en wolof. Ils parlent d’inclusion tout en fuyant les quartiers marginalisés. Ils produisent des études, mais ne touchent aucune vie. Ils sont devenus des consommateurs d’idées étrangères, pas des producteurs de solutions locales.
Ce constat appelle à un nouveau contrat moral entre l’intelligentsia africaine et son continent. Un retour au sol. Un engagement envers les réalités. Un savoir qui ne se mesure pas à l’éloquence en anglais ou en français, mais à son impact concret. L’Afrique a besoin d’un nouveau type d’intellectuel — enraciné dans son peuple, et non dans son CV.